Crédits photo : © Miléna Delorme
Le collectif Les Viatiques fait danser les bordelais depuis maintenant 3 ans. Grandement influencés par la scène roumaine, la minimale et la micro-house, ils ont su imposer leur marque de fabrique et se constituer une solide réputation. Du samedi 7 au dimanche 8 septembre, ils soufflent leur 3ème bougie avec un événement en open-air pour la journée, qui migrera en warehouse pour la nuit. Ils y convient quelques poids lourds internationaux de la scène micro, avec notamment Raresh [a:rpia:r] et Thomas Melchior. La semaine dernière, nous les avons rencontré autour d’une bière au Café Mancuso afin de faire le point sur ces 3 premières années.
Salut Les Viatiques ! On est avec Romain, président de l’association. Est-ce que tu peux nous présenter ton collectif en quelques mots ?
Les Viatiques c’est une histoire de famille avant tout. Ça fait 3 ans maintenant qu’avec Louis, mon petit frère, on a commencé à penser au projet. On a 6 ans de différence tous les deux, mais à un moment de nos vies, on s’est passionné pour la même musique. Du coup, on a eu envie de créer sur Bordeaux des fêtes qu’on pouvait vivre seulement ailleurs, à l’époque. On voyait toutes les choses qui se faisaient dans d’autres villes, des événements qui nous faisaient vibrer, et on a voulu ramener ça ici. Au préalable, j’avais déjà eu une expérience de production événementielle, à une échelle un peu moindre car j’étais plus jeune. Le wagon Les Viatiques est parti il y a 3 ans et il a raccroché plusieurs de nos potes pour devenir quelque chose de sérieux.

Au final, c’est vraiment une histoire d’amitié, comme la plupart des histoires de création de collectifs ?
A ceci près que la principale histoire d’amitié, c’est avant tout une histoire de fraternité, c’est Louis & Romain. Ce n’est pas toujours facile à gérer, parce qu’entre frangins, on se laisse passer peu de choses ou tout du moins, on garde moins la langue dans sa poche qu’avec ses potes (rires). Mais ouais, c’est une vraie histoire de frères, et ensuite de potes.
Lorsqu’on parcoure votre page Facebook, on peut lire dans votre description « Intimate independent parties in Bordeaux« . En quoi est-ce important, pour vous, d’être indépendants ?
Je ne sais pas si on peut vraiment dire qu’on est complètement indépendant. D’une part oui, on auto-produit certains événements de A à Z, on monte tout. Ça, c’est l’une de nos particularités, tout le monde ne fait pas ça sur Bordeaux. Lorsque je dis qu’on monte tout, ce que je sous-entends c’est qu’on ne bénéficie d’aucune aide, quelle qu’elle soit : sponsors, services publics. Par contre, cela implique que Les Viatiques prennent 100% des risques. Indépendance aussi parce qu’on propose la musique qui nous plaît, sans qu’aucune tierce personne nous oblige à nous orienter vers quelque chose de plus commercial. On ne se pose pas trop la question de : est-ce que ça va plaire aux gens ?
D’autre part, ça nous est arrivé aussi de faire appel à la mairie sur certains types d’événements, à la cour Leyteire par exemple, ou à la Halle des Chartrons. Là, le coup de pouce, c’est la mise à disposition du lieu et du matériel aussi. Dans ce cas, c’est vrai que l’indépendance est relative puisqu’on est pas 100% autonome sur le projet.
Après, je ne sais pas si on a vocation à aller dans un sens ou dans l’autre, je pense que cet équilibre là est assez intéressant. Finalement, faire des choses avec la mairie ou avec d‘autres collectifs, ça permet d’aller plus loin ou de faire différemment. Mais c’est aussi hyper gratifiant de produire des événements parallèles, privés, où on ne dépend de personne, où on fait ce qu’on veut.

L’indépendance peut aussi être un vecteur de nouveauté, vous étiez l’un des premiers collectifs à amener la micro sur Bordeaux.
La première idée du collectif, c’était ça. Beaucoup de gens s’y intéressaient, il y avait beaucoup de fête avec de la musique minimale à Londres, Berlin, en Espagne aussi, mais très peu à Bordeaux. Donc on s’est dit, il faut qu’on fasse ça à Bordeaux. L’indépendance, ça nous permet de faire ça, de rester sur cette ligne, qui est la nôtre, sans faire de concessions. On invite vraiment les artistes qu’on aime, toute l’année, et ça c’est un privilège.
Et en fait, pour permettre ça, c’était important d’apporter le coté « lieu » et « expérience ». Si on avait commencé par organiser des soirées en club, les gens ne se seraient pas forcément intéressés a nous. Le public que notre musique rassemblait, à l’époque, était moins nombreux. Le fait de sortir du club, ça nous a permis de rendre notre projet plus attractif aux yeux des gens. Par la suite, ça les a amenés à s’intéresser de plus en plus a la musique.
Aujourd’hui, de fil en aiguille, notre public grossit et il y a de plus en plus d’initiés sur Bordeaux. Ce n’est pas lié qu’à nous, c’est sûr. Globalement la musique minimale intéresse de plus en plus de monde en France, je pense. Mais pour autant, sur Bordeaux, Les Viatiques continuent d’être le faire-valoir de cette musique et on en est fier.
"Sortir du club nous a permis de rendre notre projet plus attractif."
Alors justement, on va revenir un peu sur cette scission entre les clubs et la scène warehouse. On sait que vous êtes aussi à l’aise dans un entrepôt que dans un club, vu que vous mixez et organisez des événements dans les deux. C’est quoi pour vous le meilleur endroit pour mixer ou organiser une soirée ?
En fait, on dépend énormément de l’acoustique naturelle du lieu et on a parfois de mauvaises surprises (rires). Malheureusement, il faut faire avec. Il y a quand même deux endroits qui m’ont marqué. Le premier est en extérieur et c’est la cour Leyteire à Bordeaux, à côté de la Victoire. L’acoustique du lieu n’est pas du tout dérangeante, le cadre crée un dancefloor naturel dans lequel le son sonne assez bien.
Le deuxième est un club, et c’est le Parallel. Historiquement, le club était pas forcément très bien vu, il se traînait un peu la réputation du Respublica. Aujourd’hui, ça a changé, le public n’est pas le même, clairement. Et puis surtout, quand ça dépasse un certain nombre de personnes, il y a une énergie incroyable, incomparable aux autres clubs de la ville. Déjà, le DJ prend une grosse pression car il y a des gens tout autour de lui. Le public est relativement proche et cette pression il la rend hyper bien parce que le système son est juste parfait. Le DJ booth est confortable donc le ou la DJ est à l’aise pour mixer. Ça donne un échange de dingue, il y a beaucoup d’énergie qui passe et ça on le retrouve pas dans un autre club à Bordeaux, je pense. Tous les artistes qu’on a reçus là-bas avec Les Viatiques étaient hyper contents du lieu.
Le 7 septembre, vous allez accueillir à Bordeaux deux légendes : Thomas Melchior et Raresh. Le premier est allemand, le deuxième est roumain. Ce n’est pas la première fois, ni la dernière, je pense, que vous invitez un artiste roumain. D’où vous vient cet amour pour la musique minimale roumaine ?
Je pense que la plupart des amateurs de musique minimale ont eu une vraie expérience sur le dancefloor à un moment donné. Quand cette musique a commencé à sortir, ça tranchait pas mal avec ce qui se faisait de base. Si je me suis vraiment intéressé à ce courant là c’est parce que c’était exactement la musique qui correspondait aux émotions que je voulais ressentir sur le dancefloor. Je pense que Louis partage mon avis.
Aujourd’hui, la minimale roumaine ça veut tout et rien dire. Il y a des artistes roumain qui jouent une musique très 4 temps, d’autres très cérébrales, d’autres plus tech-house. Certains jouent une musique beaucoup plus déstructurées, plus electro. Donc il y a plusieurs courants, même si sous la bannière [a:rpia:r] on colle beaucoup de choses et on reconnaît beaucoup de choses.
Après, il faut aussi voir comment cette musique va évoluer. L’intérêt d’un genre, c’est sa capacité à se renouveler, a proposer des choses différentes, sans rester dans un schéma de complaisance. Avec la musique roumaine, ces temps-ci, avec certains artistes on est relativement confiant, avec d’autres beaucoup moins. On a l’impression qu’ils se complaisent dans une recette qui marche bien. Ça reste de la bonne musique, mais ils ne font pas trop avancer l’expérience.
Justement, est-ce que tu as un petit artiste émergent à nous proposer d’écouter, ou une claque musicale récente ?
Il y a quelques semaines dans un petit festival on a vu un allemand que tu dois connaître, Dandy Jack, un mec de Perlon. Il a joué un live assez tôt dans la soirée. Finalement, on se dit, c’est un créneau un peu bâtard pour un live, il a eu un problème de son avant de commencer, et le DJ précédent a coupé d’un coup (rires). Il a commencé vraiment de rien et en 1h il a tout retourné, c’était hyper fort. J’ai beaucoup aimé, il y avait beaucoup d’influences.
J’aimerai aborder avec toi un autre sujet, celui de la FIMEB (Fédération Interassociatives des Musiques Électroniques Bordelaises). Les Viatiques, vous en faites partie avec 11 associations, dont nous, Electrocorp. Comment vois-tu cet élan de rassemblement de la scène locale ?
C’est inespéré, déjà, pour plein de raisons. Il y a quelques années, j’ai le sentiment qu’on ne pouvait pas y penser, clairement. Le fait que ça bouge autant à Bordeaux, c’est assez récent. Ça fait 28 ans que j’habite ici et une dizaine d’années que je m’intéresse à la vie nocturne. Il y a encore 5 ans, c’était très mono-orienté et il y avait moins de choses en terme de musiques électroniques. Aujourd’hui il y en a plein, ça commence à se tirer dans les pattes. On retrouve cette attitude typiquement bordelaise de se regarder les uns les autres de haut, à qui aura la plus grosse, avec ce côté un peu snob.
Et là, sous la houlette de Clément Lejeune qui a pris l’initiative de rassembler un peu tout le monde, ce projet aboutit dans un mois et c’est une fierté d’en faire partie, parce que ça va ouvrir beaucoup de portes.
Premièrement, ça va permettre de tirer vers le haut pas mal d’associations qui manquent de visibilité, c’est une réalité. Deuxièmement, ça va institutionnaliser un certain nombre de choses qui se passent à Bordeaux et qui ne sont pas forcément par la mairie. Sans être un syndicat des petites associations de Bordeaux, j’espère que la FIMEB aura cette capacité à rendre visible tout le monde et à nous donner du crédit.
"J’espère que la FIMEB aura cette capacité à rendre visible tout le monde et à nous donner du crédit."
J’espère aussi que ça va faire évoluer les choses parce que, mine de rien, à Bordeaux on a un gros problème. Je ne suis pas le premier, ni le dernier à le dire. Tous ceux qui s’intéressent un peu à la vie nocturne bordelaise vous le diront : il y a un véritable problème de présence pour la scène électronique après 1h du matin.
D’autant plus qu’il y a un public grossissant en nombre mais surtout en qualité, parce que la ville est très attractive et parce que les gens sont de plus en plus initiés aux musiques électroniques. C’est une vraie culture, il y a des acteurs qui s’investissent énormément, qui produisent de la musique, qui vendent des disques.
Il se passe beaucoup de choses au niveau local. Il faudrait vraiment que la mairie de Bordeaux prennent plus de risques et supportent des projets qui sortent un peu des sentiers battus. Certains projets sont bien établis, ils ont la cote, je pense notamment à Bordeaux Open Air qui fait aussi partie de la FIMEB. C’est un projet extra, qui est porté par la mairie parce que c’est exactement le format qu’elle peut se permettre, qui ne bouscule pas trop les mœurs et n’embête pas trop les riverains, car c’est sur un format court et qui finit tôt.
Ça serait bien que la mairie supporte d’autres projets au sein de la culture électro et du monde de la nuit et j’espère que la FIMEB va le permettre.
Globalement, tu as le sentiment que la mairie apporte son support à des projets qui sont « vendables » auprès du plus grand nombre, notamment des familles ?
Exactement. Ce qui est très compliqué, c’est d’arriver à concilier les intérêts des citoyens lambda, avec ceux des amoureux de la musique électronique et ceux de la mairie qui veut que tout le monde soit content. Espérons que la FIMEB puisse aider à ça, à proposer des projets de plus grande ampleur, mais aussi à donner un cadre à certaines choses.
Parce que c’est ça le problème, aussi. Beaucoup d’associations ne veulent pas entendre parler de la mairie et rester complètement indépendantes. Du coup, parfois c’est un peu la porte ouverte à tous les excès. C’est pas hyper rock ‘n’ roll de dire ça, mais il faut faire attention à ce qu’on fait si on veut que nos projets soient pérennes. La FIMEB peut aider à démontrer que nous sommes des gens à prendre au sérieux, que certains travaillent et gagnent leur vie grâce à la musique électronique.
Chez Les Viatiques, on en vit pas. Mais d’autres collectifs tentent d’en vivre ou en vivent carrément ! Ça montre bien qu’il y a des gens qui dédient leur vie à cette musique là et qui font des choses vraiment cool et qui rassemblent. Donc à un moment, ça suffit. Pourquoi, pour nous, c’est si compliqué d’obtenir un lieu, alors que d’autres musiques sont grassement subventionnées ? Un exemple tout frais, notre grosse déception de l’année, c’est de ne pas pouvoir faire la cour Leyteire en 2019. Ça faisait 2 ans qu’on la faisait, avec 4 événements là-bas et cette année la mairie nous l’a refusé, pour des raisons qui nous échappent un peu…

On va laisser la mairie tranquille. Revenons sur votre événement du 7 septembre. On y fêtera votre 3ème anniversaire, ça va se passer en deux temps… tu peux nous en parler un peu ?
C’est ça, il y aura deux temps. Une première fête assez classique qui aura lieu au Parallel le vendredi soir. Une sorte de OFF ou Manglus jouera avec Roman Danilo et Killiān, un artiste de Nantes. L’idée, c’est de vraiment rassembler les gens qui suivent Les Viatiques et commencer à faire la fête tranquillement, en introduction de notre événement anniversaire du samedi.
Pour la suite, ça commencera dès le début d’aprème le samedi jusqu’à tard le dimanche. Ce qu’on aime, c’est les événements long format. Une fête, pour moi, ça se passe en 3 temps forts : le before, la nuit et l’after. Il y a vraiment 3 énergies différentes, ces temps ont leurs spécificités. Je n’ai pas la sensation que la fête soit complète si je n’ai pas vécu ces 3 temps forts. Donc notre événement va être long, on se donne beaucoup de mal pour l’organiser parce que c’est énormément de boulot. Il va se passer pas mal de choses.
Bien évidemment, la grande fierté c’est d’avoir ces deux artistes majeurs de la scène électronique. Thomas Melchior, en live, c’est quand même quelque chose. Puis Raresh… qui est devenu en quinze ans une icône de la scène minimale. Je sais pas si on peut dire que c’est une future légende, mais on s’en souviendra, c’est sûr qu’il fera partie de l’histoire. L’avoir a Bordeaux est un privilège.
Hâte de vivre ce beau moment ! Avant d’en créer de nouveaux, est-ce que vous avez un souvenir marquant d’un de vos événements à partager avec nous ?
Les premier anniversaire Les Viatiques, on l’a fêté à l’espace DS avant qu’il soit réhabilité. On avait invité Manglus et on le connaissait pas à l’époque. On avait entendu que c’était un artiste hyper talentueux, et on a décidé de l’inviter. La soirée était une réussite, il y avait beaucoup de monde et tout se passait bien, avec un bon warm-up de Louis et Antoine Sy de Binarysound, et Manglus arrive aux platines et là : grosse claque ! Son set, c’était vraiment le niveau au dessus. Et d’ailleurs, c’est pour ça que c’est la troisième fois qu’on l’invite. Au-delà d’être un excellent DJ, il est très investi dans le monde musical. Il produit beaucoup et il a énormément de talent. C’est vraiment une des belles claques musicales pour Les Viatiques.

La suite pour Les Viatiques ça donne quoi ?
Cet hiver on a encore des projets au Parallel. On va boucler notre programmation de l’année là-bas, avec par exemple Ferro en novembre et une date en décembre. Ensuite, la saison va démarrer doucement en 2020 parce qu’on a un gros projet à l’extérieur de Bordeaux pour le printemps. On a l’ambition de faire un événement avec un format qui se rapproche d’un mini festival, qui permettrait de rassembler plus longtemps notre public qu’avec un format classique. L’endroit s’y prête bien, mais il est moins accessible. C’est un point qu’on est en train de regarder, on va travailler là-dessus. Ça sera sûrement l’événement phare de l’année 2020 pour Les Viatiques et notre quatrième année d’existence. On fera sûrement un open air en avril, et cet événement là aura lieu fin mai.
Un dernier petit mot pour ceux qui hésiteraient encore à venir à votre anniversaire ?
C’est le plus gros événement qu’on a monté à ce jour. En terme d’affluence, mais aussi en terme de casse-tête pour l’organisation technique, le mal qu’on s’est donné et la diversité des choses qui vont avoir lieu. C’est une fête qui est assez singulière, il y a plein de choses qui se passent sur Bordeaux, mais là ça va être marquant. Et surtout, il y des artistes majeurs qui viennent sur Bordeaux et tout ça on vous le propose à des prix abordables, ce qui a toujours été quelque chose d’important pour nous. Il va y avoir une belle mixité au niveau géographique. Beaucoup de gens qui étaient à Bordeaux et qui le sont plus seront présents. Il y aura aussi des gens qui viennent d’autres villes exprès pour voir ces artistes donc ça va être une belle teuf.
J’espère que ça va créer une soirée inoubliable.