Les journalistes d’investigations d’Electrocorp sont partis à la rencontre de Laurent et Matthis, représentants de Kultoural, l’association qui gère le média en ligne Le Type. Cependant, c’est sous une autre casquette que nos deux confrères se présentent, impatients de dévoiler Scene City, un projet culturel unique, international et bourré de potentiel.

En quelques mots, Scene City part du constat d’une progressive lassitude vis-à-vis de l’offre culturelle et musicale proposée par l’ensemble des acteurs. L’équipe tente donc d’y répondre, à l’aide du prisme local. Un prisme qui se focalise ensuite sur dix scènes européennes reconnues ou méconnues.

Belgrade, Bordeaux, Bristol, Kiev, Lisbonne, Lyon, Leipzig, Moscou Tbilissi et Vilnius deviennent donc les dix terrains d’exploration de Scene City. Epaulés par une dizaine de partenaires de choix, respectivement Drugstore (club), Le Type (média), Noods Radio (webradio), Tight Magazine (magazine), Radio Quantica (webradio), Chez Emile Records (disquaire), Seanaps festival (festival), Vodkast Records (disquaire) et Palanga Street Radio (webradio).

Lors d’un entretien, Laurent et Matthis développent sur Scene city. Le concept, les détails, l’histoire ce projet hors du commun, tout y passe ! L’occasion d’y voir plus clair avant leur événement de lancement le 7 septembre aux Vivres de l’Art : Le Type presents Scene city — Tbilisi.

Crédits Photo de Couverture © Vanupie

© Bureau Nuits

Racontez-moi la genèse du projet Scene City

Laurent : L’idée est née du fait de notre travail avec Le Type. Ce travail de recherche d’artistes émergents et de soutien de la scène locale. Naturellement, en tant qu’amateur d’art, de culture et particulièrement de voyage, on s’émerveillait à découvrir des villes surprenantes. Spécialement celles où l’art est foisonnant et où les initiatives émergent continuellement. Logiquement, on a eu l’envie de faire découvrir ces villes qui pour la plupart sont méconnues du grand public. On a ce projet Scene city dans nos têtes depuis environ trois ans. Progressivement, à force de voyages, de rencontres, de découvertes, l’idée s’est construite et précisée.

Matthis : Le fait que Laurent soit parti en Géorgie (en novembre 2018) a assurément accéléré l’idée et poussé à se focaliser sur cette ville pour le premier événement. L’accueil des gens sur place et l’expérience vécue nous a motivé à passer à l’acte. On a eu aussi l’occasion de se rendre à Bristol et on s’est littéralement pris une claque. C’est une ville superbe, jeune, étudiante et libérée. Il y a un vrai vivier naturel d’artistes. Ces spécificités se ressentent évidemment dans la ville et logiquement lors des soirées ! On a retrouvé un mélange de musique et de cultures inédits, notamment lors d’un événement marquant, en octobre 2014, à Moon Street où se côtoyaient House, Jungle ou encore Drum’n’Bass. Des styles plutôt éloignés de nos esthétiques de bases mais pourtant, amené de cette manière-là, c’était génial.

Laurent : C’est un bon exemple, car l’idée du projet n’est pas forcément de mettre en lumière des villes évidentes telles que Londres, Berlin ou Barcelone. Ce que l’on va chercher ce sont plutôt des villes que l’on ne soupçonne pas forcément d’être actives sur le plan des musiques alternatives. En Allemagne, le choix de Leipzig nous semblait plus pertinent que Berlin par exemple. De même qu’en France où l’on a préféré Lyon et Bordeaux au détriment de Paris. Ce sont généralement des alternatives aux grosses capitales où la vie devient trop chère pour lancer une carrière d’artiste. Et pourtant ce sont des villes où les opportunités culturelles sont tout aussi présentes.

Comment fonctionne Scene City ?

Laurent : Le projet se matérialise sous deux formes. Premièrement, une plateforme (bientôt) en ligne, conçue comme nouveau média à part entière, sur laquelle apparaîtra un référencement d’artistes émergents des dix villes. Puis, des événements viendront complémenter le site internet. Ces événements seront des échanges entre les villes où des artistes de chacune d’entre elles se rencontrent. On tenait à proposer deux formats complémentaires, le premier pour découvrir des artistes et scènes dans leur globalité. Ainsi que les événements pour rendre physique le concept et découvrir tout un pan de la culture d’une autre scène.

Matthis : On veut bien faire comprendre que lorsque l’on parle de scène et de culture, c’est d’une manière large et pluridisciplinaire. On ne reste pas focalisé sur la musique électronique. Bien entendu, c’est un aspect de la culture qui nous parle énormément, donc ce sera mis à l’honneur mais on est désireux de mettre en avant d’autres disciplines de ces scènes. C’est pour ça notamment d’ailleurs que l’on est accompagné par Bureau Nuits sur le projet, à l’origine de toute l’identité visuelle du projet.

Kyiv 02 © Dmytro Prutkin
© Dmytro Prutkin

Comment s’articule le projet entre les scènes ? Bordeaux tiendra-t-elle un rôle principal ?

Matthis : Le projet est complètement interchangeable en réalité. Des affiches telles que « Bristol x Belgrade » ou bien « Moscou x Lisbonne » sont tout à fait envisageables.

Laurent : Le projet part de Bordeaux dû à l’équipe du Type qui est à l’initiative du projet. L’idée était de continuer de faire notre job de Bordeaux mais dans d’autres villes. Puis, de les connecter entre elles, à travers des échanges artistiques. Mais si demain on peut faire un évènement à Kiev en invitant des artistes de Vilnius ou Lyon, on le fera. L’idée est définitivement de construire un projet européen et international.

Désirez-vous chapeauter le projet Scene City dans sa globalité, ou accorder une liberté totale aux scènes ?

Matthis : Aujourd’hui il est trop tôt pour en parler, le premier évènement n’a pas encore eu lieu. Mais évidemment qu’on aimerait être présents sur tous les événements, si on peut on le sera. On va voir comment se déroule le projet.

Laurent : Si par exemple notre partenaire ukrainien, Tight Magazine, souhaite organiser une soirée « Scene City featuring Leipzig », référencé sur le projet aussi, et que les échanges se font naturellement entre les deux villes et partenaires concernés, on n’en est plus que ravis ! Si on peut y être on y sera. Le but du projet est vraiment de connecter les villes entre elles et d’encourager les dialogues et les échanges entre les scènes artistiques !

Matthis : Cette idée est aussi partie des jumelages qui existent entre les villes, malheureusement tombés en désuétude. On voulait donc repenser le jumelage d’une manière nouvelle et culturelle. Les villes vont être prédominantes dans ce projet.

Laurent : Avec Le Type, on s’est toujours envisagé comme un média local avec une ligne éditoriale très claire sur cette dimension. Et l’idée de ce projet, même si l’on s’exporte, c’est de poursuivre ce prisme local. Particulièrement porteur de sens à notre avis.

"La plateforme est participative. N’importe qui peut nous proposer des artistes ou une nouvelle ville sur la plateforme."

Pourquoi avoir sélectionné ces dix villes en particulier ?

Laurent : Ce sont des villes que l’on apprécie tout particulièrement et/ou que l’on reconnaît actives musicalement. Il y a bien d’autres villes qui nous tentent, telles que Naples, Bruxelles, Milan ou encore Saint-Pétersbourg !

On se base aussi sur les retours de nos proches. Puis, principalement de la documentation et recherche: lectures d’articles, les disquaires, les clubs, les labels et artistes émergents. Tous ces éléments rassemblés permettent de constater le dynamisme d’une ville. Et puis, quand on peut se rendre sur place et se rendre compte par nous-même, c’est encore mieux.

Vous avez choisi un partenaire dans chaque ville inscrite dans le projet Scene City…

Laurent : Oui, il nous semblait évident d’avoir des partenaires sur le terrain, forcément plus à-même de savoir quels sont les artistes les plus pertinents et intéressants à mettre en valeur. Le but étant de co-écrire avec chaque partenaire un référencement d’artistes pertinents pour chaque ville. A titre d’exemple, la liste d’artistes que l’on avait élaborée pour Kiev a évolué au fil des échanges avec Tight Magazine. D’où l’intérêt de se joindre aux partenaires locaux.

Matthis : On pourrait très bien le faire de loin, mais cela atténuerait le sens que l’on veut donner à la plateforme. On cherche réellement à faire du référencement local par un expert de la scène en question. On entend par expert, des webradios, des magazines, des clubs, des disquaires, des festivals etc…

Laurent : A l’image de ce que l’on fait avec Le Type, la structure référence à Bordeaux, on cherchait des acteurs similaires ou en tout cas avec le même objectif, c’est-à-dire soutenir leur scène locale et la valoriser. Qui de mieux qu’une webradio ou un club qui accueille des résidents locaux pour faire ce travail ? L’idée est donc de s’entourer d’un acteur pertinent à son échelle locale.

"Le but est de co-écrire avec chaque partenaire un référencement d’artistes pertinents pour chaque ville."

Daisy © Vanupie
© Vanupie

J’imagine que vous n’avez pas visité les 10 villes présentées dans le projet ? Comment avez-vous choisi ces villes sans vous rendre sur place ?

Laurent : On les a presque toutes visitées à part Kiev, Moscou et Vilnius. On est des gros amateurs de musique et à force de s’intéresser aux nouveaux artistes, aux sorties, aux labels, aux collectifs et aux lieux emblématiques qui font parler d’eux dans d’autres pays, on imagine bien la scène en question. Et des scènes comme Kiev, Moscou et Vilnius sont des sujets récurrents dans les médias spécialisés. Leurs labels et leurs artistes sont aussi reconnus sur la scène internationale.

La scène de Kiev nous intrigue tout particulièrement. On sent une culture de la rave encore présente et affirmée. Notamment lors des soirées Cxema, où toute la scène locale s’est régénérée. A tel point que Boiler Room se soit penché sur le sujet et en fasse un focus lors d’une soirée.

Ce sont des scènes très spécifiques au final ; une ville comme Kiev et son contexte si particulier, impacte évidemment la vie nocturne. Une certaine radicalité s’en dégage au regard de leur manière de concevoir les soirées ainsi que les musique qui s’y jouent : une Techno brute ou bien des styles plus expérimentaux. L’expérience dancefloor s’exprime de manière différente vis-à-vis des autres scènes. C’est en s’intéressant et en diggant que l’on se rend compte que certaines scènes sont excitantes et pourtant sous-médiatisées.

Matthis : Ce choix de ces scènes est totalement un parti pris de notre part. C’est subjectif et amené à évoluer. On n’est pas prêt de faire le tour de tous les artistes talentueux.

Laurent : Il faut bien comprendre que la plateforme est participative. N’importe qui peut nous proposer des artistes ou une nouvelle ville sur la plateforme. Sous-réserve d’une cohérence avec la ligne éditoriale du projet. Notre partenaire à Leipzig, Seanaps, nous a encouragé à se tourner vers Milan par exemple. D’après lui, la scène actuelle est débordante d’énergie… Des villes comme Naples ou Bruxelles nous questionnent beaucoup aussi. On reste donc sur une plateforme ouverte et participative !

Les médias s’intéressent tout particulièrement à Tbilissi, comment rendre compte de cette scène ?

Laurent : On entendait beaucoup parler du Bassiani, club Techno phare de la ville, sous un stade de foot, accueillant de nombreux dj internationaux. Le club a subi une descente de police particulièrement violente en mai 2018. Ce à quoi la jeunesse de la ville a répondu par une manifestation massive devant le parlement avec un soundsystem géant. Lors de notre voyage l’année dernière on a pu expérimenter de nombreux clubs de la ville (dont le Bassiani, mais aussi le Drama Club, Keller, Mtkvarze…). On a été agréablement surpris par la qualité des artistes, des lieux et de l’énergie des amateurs de cette culture.

C’est une scène structurée, en réalité. On a notamment pu se rendre dans le disquaire, Vodkast Records, notre partenaire local. En s’intéressant aux sorties d’artistes locaux, la surprise est venu de D.KO Records qui comprend Toke, producteur local, sur une récente sortie. Les artistes géorgiens s’exportent bien.

Matthis : La nourriture géorgienne a définitivement confirmé notre intérêt pour cette scène. Une culture culinaire méconnue mais pourtant succulente. On invite notamment une cheffe géorgienne sur l’évènement du 7 septembre. Elle représentera un des aspects de la culture que l’on veut mettre en lumière.

© Dmytro Prutkin
© Dmytro Prutkin

Avez-vous ressenti certaines différences d’engagement, de volonté ou de motivation entre les acteurs des scènes développées et d’autres en devenir ?

Laurent : Effectivement, quand on a commencé à contacter les artistes des villes sélectionnées pour leur demander du contenu pour la plateforme, cela s’est fait très naturellement avec des artistes de Bristol ou Lisbonne pour ne citer qu’elles. Tandis que le partenariat avec Tight Magazine à Kiev a pris plus de temps. Il y avait plus d’interrogations sur le sens projet. De même pour les artistes à Vilnius ou Moscou. La réception du projet s’est faite différemment en fonction des villes.

Matthis : La réception était globalement positive, même si on attend toujours de voir où va nous mener le projet. Quant à l’évènement du 7 septembre, où l’on convie les artistes de Tbilissi, les invités sont particulièrement reconnaissants qu’on les mette à l’honneur. On sent que cela les touche personnellement.

Liepzig et Vilnius apparaissent comme les deux villes les moins « réputées ». Qu’est-ce qui vous a motivé à les inclure dans le projet Scene City?

Laurent : On a pu se rendre à Leipzig, ville dont la réputation a un écho depuis quelques années dans les médias, notamment de musiques électroniques. Située à quelques centaines de kilomètres de Berlin, Leipzig propose de nombreuses friches industrielles et donc beaucoup d’espaces. Tandis qu’à Berlin, les loyers explosent et la scène est à maturité – même si ça reste toujours un terrain de jeu artistique incroyable. Les opportunités de création au regard de tous ces espaces que propose Leipzig prennent alors plus de sens pour les artistes.

Matthis : En ayant vécu plus d’un an à Berlin, je ressentais vraiment à l’époque, un mouvement de la part des allemands, vers Leipzig. Et puis, on était déjà en contact avec les organisateurs de Seanaps (festival à Leipzig). La connexion avec la ville s’est faite naturellement.

Laurent : Quant à Vilnius, il y a une grosse scène avec l’Opium Club, qui en est l’une des vitrines. La ville est relativement petite et les acteurs sont véritablement connectés les uns avec les autres. Une véritable solidarité s’en dégage, avec des acteurs comme Palanga Street Radio qui fera office de partenaire mais aussi Hao Dao, une récente webradio. La scène semble ultra-productive malgré sa petite taille.

Matthis : Énormément d’artistes que l’on suit sont basés à Vilnius, en checkant les « Premieres » sur soundcloud, on s’est rendu compte de l’impressionnante productivité artistique la ville. Des artistes comme Manfredas, Pletnev ou encore Zakmina représentent bien cette scène. D’autant plus que Vilnius se dévoile comme une scène particulièrement originale, proposant un style hybride que l’on n’a pas encore l’habitude d’écouter.

Qui sont les artistes invités lors de votre événement de lancement du 7 septembre ?

Laurent : Deux artistes de la scène de Tbilissi : Parna, booker du club Mtkvarze et Ninasupsa, très proche de Bassiani où elle joue régulièrement. Ce sont donc des artistes qui représentent bien, à notre avis, la scène de Tbilissi. Et puis, on organise un talk introductif, en direct, sur Ola Radio avec ces artistes afin de présenter cette scène. Enfin, l’autre aspect important du projet est bien entendu de mettre en valeur la scène bordelaise afin de connecter les scènes entre elles. On complète donc le line up avec des artistes locaux qui nous sont chers et qui naviguent sur les mêmes esthétiques. Seront à l’honneur Blumm et Yougo du collectif tplt ainsi que Birouette.

Matthis : On tenait vraiment à créer un événement pluridisciplinaire. C’est pourquoi il est primordial pour nous d’inviter des artistes musicaux bien évidemment, mais aussi, Vanupië, une photographe qui viendra exposer une série de photos prises lors de la manifestation suite à la fermeture Bassiani. Enfin, quelques mots sur Daji, la cheffe géorgienne qui proposera donc un menu « made in Georgia ». La nourriture géorgienne est telle qu’il était impensable pour nous de proposer cet évènement sans elle. Elle sera accompagnée par les locaux Gang of Food, habitués des événements culinaires et culturels bordelais.

Rendez-vous donc ce samedi 7 septembre pour la première édition de Scene City, de 14h30 à 00h. Un événement pluridisciplinaire, vous l’aurez compris, entre DJ sets, radio talk-shows, découverte culinaire géorgienne et expo photos.